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Pascale Jamoulle présente Le Méridien à Bruxelles. La clinique de l'exil, une clinique du lien social.

Le Méridien nous a été présenté par Pascale Jamoulle, auteure de plusieurs livres présentés sur ce site (dans la rubrique "Livres").
"En Belgique nous travaillons un concept : la promotion de la santé mentale, concept qui n'est pas défini à partir des catégories nosographiques traditionnelles : ça n'est pas que du soin.
On peut se référer à ce sujet à Jean Furtos et à la capacité de rester en lien avec soi même et avec les autres dans les difficultés ; la santé se développe à partir de la solidarité, l'entraide, la création, la capacité de se révolter contre les conditions inhumaines, la capacité à s'auto-organiser.

La philosophie : les 3 anneaux de la santé mentale.
Une métaphore parmi d'autres ; pendant longtemps la santé mentale a été considérée dans son aspect biologique : diagnostic, traitement, guérison, hospitalo-centrisme ; une maladie mentale devait être traitée en dehors de la société.
Le 2° anneau s'est constitué à partir de l'anti-psychiatrie, de la systémie, dans une approche plus intra-psychique, familiale ; les structures ambulatoires sont intégrées dans les quartiers avec des dispositifs publics ; ainsi un dispositif comme le méridien est disponible à tous, c'est un service public. Dans ce modèle il y a des tas de services autour des publics, y compris des publics riches.
Mais la psychanalyse, l'approche systémique ne sont pas accessibles à tous les publics ; l'idée que les professionnels peuvent vous aider avec ces outils n'est pas évidente pour les milieux populaires ; le réflexe est plutôt de s'appuyer sur l'expérience vécue d'autres personnes.
Comprendre l'utilité d'un psy suppose un certain capital culturel, avoir un psy dans son milieu de vie par exemple.
Il s'agit de déployer d'autres approches pour travailler avec les publics les plus fragilisés.
Bien-sûr la santé doit être accessible à tous les milieux : on peut tous être un jour patients. Il faut développer des projets de travail.
Le méridien.
Des psys, des AS, des logopèdes (orthophonistes) ; chaque service déploie des services spécifiques. La santé mentale communautaire, ici au Méridien, c'est trois équipes : une équipe enfants, une équipe adultes, une équipe recherche.
Il s'agit de passer de l'intime au collectif au travers de la prise en compte des problèmes de groupes.
Par exemples toutes ces femmes équatoriennes qui ont laissé leurs enfants aux pays et qui souffrent de l'éloignement de leurs enfants puis de l'arrachement des enfants quand ils viennent : ça n'est pas un problème individuel, d'où un collectif qui permet de partager, de s'entraider, et de créer des dispositifs.
L’expérience peut se transformer en savoir et en entraide.
Au niveau de la clinique, nous déployons une clinique de l'exil, liée pas seulement à la migration mais au fait de se sentir étranger.
Les codes à l'extérieur ne sont pas les mêmes que ceux qu'on a incorporés.
Mais il y a aussi le vécu de jeunes qui, de par leur phénotypes, restent éternellement étrangers, qui se disent « exilés avec zéro km au compteur», avec le sentiment d'être bannis.
La clinique de l'exil, c'est l’étayage des métissages, des luttes pour favoriser par des narrations le travail identitaire.
C'est une autre approche que celle de Marie Rose Moro, c'est plus social.
Question : travaillez-vous avec des ethno-psychiatres ? Non, mais nous travaillons avec des interprètes.

Le 3° anneau : la santé mentale en contexte social.
La santé mentale peut être mise à mal quand les liens aux autres, à la communauté, sont mis à mal, avec des ruptures perpétuelles qui amènent à ne plus faire confiance. La clinique du lien ne se fait pas seulement dans des lieux spécialisés.

La souffrance psychique d'origine sociale.
Le méridien co-construit un certificat universitaire de santé mentale avec l'université de Louvain en anthropologie.
Ce certificat concerne les travailleurs confrontés à la souffrance psychique d'origine sociale. Des petits groupes de 30 participants.
L'intervenant va à la rencontre de son public et fait une enquête ethnologique sur une question ; ex : la souffrance des MENA (Mineurs isolés étrangers = MIE en France).
Autre exemple de recherche : le sentiment d'ethnicisation des écoles.
Construire la problématique et tout cela met lentement en compétence.
Prendre en compte le savoir des publics, sinon on met en place des projets et ça ne fonctionne pas car ça ne fait pas sens pour les gens.
C'est un travail déterminant mais on leur dit : restez cantonnés dans vos fonctions, vous n'êtes pas des cliniciens.

Question sur le parcours de recherche de Pascale Jamoulle.
Réponse : Je travaille à partir d’énigmes. A partir de là je déploie une travail anthropologique.
J'ai été balancée dans des énigmes.
Tout d'abord l'énigme de l'explosion des problématiques de toxicomanie à Charleroi : pourquoi ? On pensait la toxicomanie à partir de dimensions familialistes.
On m'a lancée sur le terrain et j'ai fait une formation d'anthropologie.
Au départ, pas une vraie question, mais plutôt le projet de penser les conduites à risque de la jeunesse : comment les parents peuvent-ils faire cette traversée ?
J'ai été parachutée dans un quartier populaire.
« Drogue de rue » m'a amenée à « la débrouille des familles » et je me rends compte alors que les pères ont disparu.
Un élément à noter est qu'en Belgique,la monoparentalité est un critère de priorité pour le logement social ; donc les quartiers accumulent les mères isolées, qui ont différentes difficultés : elles ne travaillent pas, sont isolées, avec les « troubles du trop proche» (Cyrulnik).
On comprenait la fonction des conduites à risques.
L'énigme ensuite a été : où sont les pères ?
Il y a un lien entre conduites à risque, masculinité et précariat.
pendant trois ans le travail a été de comprendre ces liens. Agréger les problématiques publiques. La différence entre le taux isolé et le taux cohabitant (si le couple est déclaré le loyer augmente considérablement) ; les pères "boîtes aux lettres" (officiellement ils ont une autre adresse et pour cela paient la location d'une boîte aux lettres). La question du loyer et des allocations. Les femmes socialisée dans l'économie de la rue, hypervirilistes.

Les conduites à risque
L’énigme suivante ça a été l'intime, le conjugal, ce qui se joue du côté du conjugal.
Quand je suis arrivée ici, dans le quartier chaud, les prostituées dans les vitrines, dans la rue, l'explosion du sado-masochisme, des pratiques de domination: pourquoi ?
Puis le quartier turc, une communauté qui vient des mêmes villages, et la question des mariages arrangés que la 2° génération refuse. Et tous ceux qui sont dans "la ville nue" «sans» : sans papier, sans logement...

Trois problématiques :
quand les liens ont été fracassés dés le départ, il y a alors un danger énorme à s'attacher, et la peur de souffrir. Mais il y des temporalité différentes. Ici, il y a une explosion des gens qui tombent dans la rue ; pas du tout les même profils que les mômes ballotés.
Une explosion du nombre de personnes qui se sont retrouvées sans papiers et qui au fur et à mesure des recours s'appauvrissent, se font exploiter ; avec "la moulinette de la rue", la déshumanisation : comment s'attacher?
Plus on aime, plus on est violent : un monde à l'envers, il faut montrer le contraire : si on montre ses sentiments c'est trop risqué.
La logique concentrationnaire.
La question des métissages des normes de genre : comment se métisser quand les normes sont aussi contradictoires ?
La question de la marchandisation.
Les rapports de société sont des rapports de domination/soumission. Les corps rejouent les rapports de domination.
Question d'un étudiant: dans notre travail, il y a une vision très centrée sur les individus et la responsabilité individuelle.
Pascale Jamoulle : c'est l'idée de la conscience de classe : tu es ouvrier non parce que tu es idiot mais parce que tu es dominé.
Ouvrir une visibilité sur la domination. Ouvrir sur des luttes politiques. L'idée de la fabrique du social. Idée que les pratiques prostitutionnelles sont fabriquées socialement.
Transformation des fantasmes (rien de plus intimes que les fantasmes).
Les drogues, les conduites à risque, la désimplication des pères, les troubles des normes de genre c'est la manifestation de quelque chose. Décrypter les énigmes.

Je fréquente des prostituées à Espace P : OK, qu'est-ce qu'elles pensent ?
Vous (les travailleurs sociaux) êtes habitués à donner et les gens reçoivent ou pas.
Donner recevoir rendre ; la triple obligation (Mauss). Il y a la peur de demander : si je demande quelque chose, les gens vont me balader ; ils vont prendre du temps et après je ne pourrai plus gérer car je serai en dette ; et puis vous le faites, et là vous êtes hyper étonnés, les gens passent des heures avec vous ; quand ils sont en situation de transmettre de vous aider.
Si je dis : je dois me mettre au travail mais j'y connais rien, c'est une position hyper confortable : les gens ont une citoyenneté, profondément ; peut-être le don est clinique.
Dans "la débrouille »,dans des univers confinés, quand les gens passaient beaucoup de temps à m'aider, la famille s'ouvrait : puisqu'ils avaient donné ils pouvaient recevoir.
C'est la position qui est clinique : se mettre en position d'être enseigné
C'est confortable : vous pouvez aller partout ; si quelqu'un vous a enseigné, a fait un récit, il vous protège

Le dernier ouvrage, je l'ai fait en Seine Saint denis : par delà les silences. Non-dits et ruptures dans les parcours d'immigration".
En France parler d'immigration ça ne se fait pas
Question d'une étudiante: dans mon travail, nous accueillons des femmes venant de la rue, beaucoup ont des TOC, est-ce que ça vient de la rue, ou d'avant ?
Pascale Jamoulle : et toi qui les connais, qu'en penses-tu ? J'ai été formatée: AS, prof, j'étais supposée savoir ; la posture, c'est : je ne sais pas. Nettoyer avec elles et poser des questions.
Si on n'ose pas parler et on n'ose pas interpréter...
L'important c'est pas le diagnostic c'est de voir comment la personne parle et construire avec elle un savoir.
Si tu dis « je dois faire un travail pour l'école, mais j'y arrive pas parce que j'ai jamais vécu ça. Si vous pouvez m'expliquer, ça m'aiderait moi, c'est pas pour vous, c'est pour moi. Est-ce que vous pouvez parler pour les autres ? »
Par exemple sur la psychose à la rue ; si j'avais posé la question de la psychose...
Elles m'ont expliqué : c'est comme une tranches de gruyère, tu te mets dans une tranche et c'est l'autre tranche qui souffre ; d'autres parlent de djinns, d'autres racontent à chaque fois autre chose. Est-ce nécessaire pour survivre ?
Partir de la pression et des brisures.
Tous, si on étais jeté à la rue, nous serions brisés sur nos structures.
Certains seraient dans la dépression totale, d'autres la sociopathie.
« métaphore : « ça a pété dans ma tête ».
Furtos : quand les gens se retrouvent en situation de respect, les symptômes diminuent.
Une autre énigme en travaillant sur "fragments d'intime".

J'ai travaillé avec les écoles. Ici pas de cartes scolaires, le libre marché.
Si tu as un capital social et que tu ne veux pas mettre ton enfant dans le collège voisin, ton mome aux yeux bleux va être le seul et se faire ramasser et souffrir.
Des écoles avec 90% de turcs, 80% de maghrébins.
A Bruxelles 75% des bruxellois ont un ascendant d'origine étrangère.
On ne dit pas les vrais problèmes, on reste sur le mythe de l'égalité.
Les représentations de l'immigration dans la société sont liées aux représentations dans l'école. S'il y a 10% des immigrés qui sont turc en Belgique, alors 90% de turcs dans une école, c'est de la discrimination.
Enigme : des bandes ethniques, des projections des mythes nord américain. Imaginez des regroupements ethniques, c'est une énigme car ça n'était pas le cas il y a dix ans. Un système avec une concentration qui est devenue territoriale ; comment l'école a renforcé ça et comment les forces de l'ordre ont renforcé ça en sur-controlant.
La loi du quartier et des systèmes d'assignation ; des jeunes scotchés au quartier. Déconstruire cet exil.
Le conflit flamand wallon a amené une dimension ethnique au plus haut niveau de l'état. Si vous êtes francophone vous n'aurez pas priorité pour acheter une maison en territoire flamand ; idem pour une place en halte garderie.
Lire aussi l'article Enquête de terrain auprès d'usagers

Pour en savoir plus, voir le site web : www.changement-egalite.be/IMG/pdf/Ados_en_Exil_.pdf

Date de cet article : 2014-04-26


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