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la situation de "Julien"

Entretien avec Marie
Marie est étudiante en travail social (formation d’assistante sociale) ; ses parents travaillent en tant que famille d’accueil dans un dispositif particulier : accueillir à court terme, pour des accueils d’évaluation, six enfants, avec l’aide de deux éducateurs spécialisés et d’une maîtresse de maison. Ainsi ils peuvent être très disponibles pour des enfants ayant de nombreuses activités et prises en charge ; il a beaucoup d’accompagnements. Ils travaillent en lien avec un foyer et font beaucoup d’accueils séquentiels.
En dehors des enfants accueillis provisoirement, la famille comporte trois enfants, l’aîné a 24 ans, Marie a 22 ans, le cadet a 18 ans et vit encore à la maison. Marie décrit la famille comme très soudée, les grands parents sont dans le même village et les enfants accueillis sont très intégrés dans la famille élargie.

Marie : mes parents ont accueilli Juju quand il avait cinq jours ; ils l’avaient rencontré à la maternité quand il avait deux jours.
Marie pointe les injonction paradoxales données à ses parents : « il faut tout lui donner » mais « ce n’est pas votre enfant » ; « gardez bien vos rôles distincts de père et de mère » mais « surtout ne vous faites pas appeler papa et maman ».
Mais ne pas être les parents est rassurant à certains moments.
Tout cela se renverse quand l’enfant devient adoptable. Soudain c’est à mes parents de dire si Juju deviendra adoptable ou pas. On leur a demandé de construire la démarche, de dire OK pour demander une adoption simple.
Marie pointe l’énormité de la responsabilité : c’est votre enfant ; ce n’est pas votre enfant.

Juju est le dernier d’une fratrie de dix enfants, tous placés.
Marie : on a demandé à ma mère d’avoir beaucoup de contacts avec la mère de Juju. Cette dernière téléphone souvent, pour parler de ses projets de bébé avec un nouvel ami. Cette femme a eu son premier enfant à l'âge de 18 ans et à chaque fois elle rêve de recommencer sa vie avec un nouvel ami et un nouvel enfant. Elle demande beaucoup de conseils à ma mère mais oublie Juju dans ces discussions et ne parle que du bébé à naître. La référente dit qu’on ne peut pas dire que le futur enfant sera placé.

Les parents de Marie ont 52 et 45 ans et leur projet était de vendre la maison et de voyager quand ils prendraient leur retraite. Adopter Juju vient remettre ce projet en question. Ils sont devant un choix impossible : soit renoncer à leur projet, soit perdre cet enfant.
Marie : on ne savait pas quoi leur dire ; faire la balance du pour et du contre, ça n’est pas possible avec un enfant.
Constatant leur profond attachement à cet enfant, ils avaient demandé qu’un projet soit fait pour lui, d’où le premier projet: négocier avec la mère (en passant pas eux) une adoption simple. Puis le projet a du changer car la mère a disparu et l’ASE a fait le projet d’une nouvelle famille d’accueil. Les parents de Marie avaient alors le choix entre trois possibilités :

  • devenir eux la famille d’accueil de Juju ; mais cela remettait en cause leur statut et leur projet de maison d’accueil,
  • adopter, mais c'est à eux de construire l'adoption simple.
  • laisser partir Juju dans une autre famille d’accueil.
Marie : Ils avaient demandé un projet pour pouvoir se préparer et là le projet « tombait » brusquement.
PhF : cela aurait été différent si le projet d’adoption avait été proposé à une autre famille ; ils auraient pu alors confier Juju à sa famille.
Marie : ça inquiète beaucoup mes parents : ils ont offert une stabilité à Juju, ils l’ont aimé ; ils reçoivent beaucoup d’enfants qui ont été ballottés de familles d’accueils en foyers…
PhF : qui décide ? Marie : on ne sait pas, c’est une décision d’équipe...
C’est le dixième enfant de cette mère et on n’arrive pas à se dire qu’elle ne pourra pas élever ses enfants, mais ils ont besoins d’une famille, d’une stabilité.
Ce qui m’a beaucoup gênée par rapport à Juju c’est qu’il est d’abord considéré comme un remède pour ses parents. Son père a été emprisonné, Juju a du aller le voir en prison, pourquoi ? Parce que « son père va mieux, une visite lui fera du bien ». Les parents ne vont pas bien, ils ont besoin d’amour : on organise une visite. Juju qui a un retard de développement important, progresse beaucoup, mais quand on organise ces visites il fait des cauchemars pendant un mois.

Dans le projet actuel, une mise en relation est organisée avec la future famille d’accueil. Il est prévu de maintenir le lien avec une rencontre une journée ou un week-end par mois.
Marie : le psy n’arrête pas de dire qu’il faut qu’ils continuent à se voir, mais tout et toujours dans des « si.. » ; on a toujours pas la date on peut pas se préparer…
Marie : j’ai fait les premiers biberons, c’est compliqué, pour lui j’étais un peu une maman, un peu une grande sœur. Quand j’ai quitté la maison, ça a été progressif, la fête quand je revenais, les pleurs quand je partais. Il a marché à deux ans ; il ne parle toujours pas, tout est dans le tactile, dans l’affectif.
Il a développé des compétences à la halte garderie (le rythme avec un tambour), c’est un enfant à part, très fêté quand il arrive. Il y a des inquiétudes par rapport a sa santé et il a beaucoup de suivi, pédopsychiatre, pédiatre, neurologue, nombreux suivis au CMP, un accompagnement d’une éducatrice à partir de la musique.
Date de cet article 27/02/2009

Suite en 2010
Rencontrant Marie, je lui demande des nouvelles de la situation. L’ASE a organisé l’accueil de Julien dans une autre famille d’accueil et comme prévu, un maintien des liens a été organisé. Mais Julien a manifesté une telle détresse suite à la séparation, régressant énormément, ne comprenant pas sa situation, et montré un tel chagrin pendant les visites, que les parents de Marie ont compris qu’en fait l'accueil de Julien s'était transformé en situation adoptive de fait. ils l’avaient accueilli à l’âge de cinq jours et Julien n’avait connu qu’eux en comme parent dans son quotidien.
Ils se sont donc portés candidats à son adoption, l’ASE ayant opté finalement pour un projet d’adoption simple. Cette démarche a été faite en concertation avec leurs enfants.
On peut en conclure que l’adoption, qui n’était pas le projet de cette famille d’accueil, s’est imposée à elle.

Date de cet article : 2010-03-10


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