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Loczy ou Le maternage insolite

L'influence de Loczy en France est importante dans le champ du placement familial et assez étrange : Loczy est historiquement un orphelinat et, quand Myriam David et Geneviève Appel le découvrent, l'essentiel des enfants qui y étaient confiés le quittaient pour être adoptés. L'accueil d'un enfant de zéro à trois ans, entre deux mères, celle de naissance et celle d'adoption, n'est pas du tout du même ordre que l'accueil d'un enfant placé qui va appartenir plus ou moins durablement à deux familles.
En dehors de l'immense influence de Myriam David et Geneviève Appel sur le placement familial, et aussi de leur ouvrage Loczy ou le maternage insolite, il me semble qu'une conjonction de dimensions très différentes a opéré.
Tout d'abord un facteur historique : quand elles découvrent Loczy en 1968, Geneviève Appel et Myriam David ont pour point de comparaison l'état désastreux de pouponnières en France : les carences affectives, la « valse des enfants », ballottés sans précautions, l'héritage de l'hygiénisme.
Cela donnait une organisation institutionnelle qui, structurellement, faisait obstacle à un attachement sécurisant pour des enfants qui apprenaient à devenir des « enfants de la DASS », des enfants d'une institution. Leurs parents étaient remplacés, mais d'une façon chaotique, par une succession d'adultes peu attentifs aux séparations qui devenaient des ruptures.
Loczy est donc d'abord un modèle institutionnel, une conception minutieuse d'un travail en équipe centré sur l'enfant, une des bases de la notion de référent.
Une deuxième dimension est la pédagogie d'Emmi Pikler et sa conception de l'activité libre, spontanée, de l'enfant et la place des adultes et professionnels à ce sujet. Pour M David et G Appel c'est la découverte d'un moyen de lutter contre les carences institutionnelles et particulièrement l'apathie ou l'agitation des enfants carencés.

Je propose de lire le très interessant article de Juliana Vamos à ce sujet.
Ce modèle a été très largement diffusé en France via la formation des professionnels des crèches de deux départements, le val de Marne et la Seine Saint-Denis.
Une troisième dimension, centrale pour le placement familial, est la conception du "maternage insolite". Sur le site de l'association Pickler Loczy France, Myriam Rasse explique : Ce qui pose toujours question aux personnes qui découvrent cette Institution, c'est la nature de la relation nurse-enfant : elle est invariablement comparée à une relation maternelle. Et, pour apporter des éléments de réflexion sur ce sujet complexe, suscitant souvent des discussions passionnées, je voudrais citer Myriam David dans le livre "Prendre soin d'un jeune enfant" : on reproche à cette relation tantôt de ne pas être suffisamment "maternelle", d'être artificielle, contrôlée, pas naturelle, dépourvue de chaleur, de spontanéité et d'élan ; tantôt, la qualité des soins et l'harmonie régnante apparente, la dévotion à l'enfant donnent une impression de perfection que les uns trouvent inquiétante et dont les autres voudraient voir les mères davantage pourvues. Pour ma part, poursuit M. David, je pense essentiel de comprendre que relation maternelle et relation soignante sont de nature fondamentalement différente et ne répondent pas au même objectif. "
Je vous propose de lire l'ensemble de ce chapitre « La question de la relation nurse-enfant » et l'argumentation de Myriam Rasse, et c'est à ce sujet que j'ai des interrogations : il y a de mon point de vue un risque d'idéalisation de la relation soignante et de l'organisation institutionnelle qui y est associée.
Le risque est la banalisation de l'absence maternelle et familiale pour l'enfant, avec des séjours trop longs en institution, particulièrement dans les pouponnières départementales.
Une évaluation minutieuse du devenir des enfants restés plus d'une année en pouponnière est indispensable.

A cet égard, la recherche dirigée par le docteur Rousseau à la pouponnière d'Angers est inquiètante. Elle a concernéent vingt huit enfants admis avant l'âge de 4 ans. Voici la conclusion de l'étude : "On constatait des délais longs avant placement (13,1 mois en moyenne entre la première alerte et le placement) pour un âge moyen d’admission de 17 mois. La situation sanitaire, physique et psychique des enfants à l’admission était mauvaise: grossesses mal suivies, troubles psychiatriques et fréquents, cas de maltraitance avérée dont 7 cas de syndrome de Silverman (des bébés et jeunes enfants présentant de multiples fractures suite à des maltraitances).
Plus d'un tiers des enfants présentaient un retard de croissance à l'admission, avec récupération dans la moitié des cas. La durée du parcours au sein du dispositif ASE était en moyenne de 13,2 ± 4,6 années. A échéance, on notait 24 mesures "jeune majeur", 8 mesures de protection des majeurs et 9 mesures AAH (Allocation adulte handicapé).
Des troubles psychiatriques étaient notés chez 116 enfants à l'entrée et chez 98 à la sortie du dispositif. On notait une progression significative du fonctionnement social et scolaire de l'enfant (évalué par l’échelle CGAS). A l'issue du suivi, un adulte jeune sur deux présentait des difficultés d'insertion sociale, avec des parcours chaotiques dans de nombreuses familles d'accueil, des échecs de restitution et des échecs scolaires".

Dans de nombreux pays, c'est le modèle même de la pouponnière qui est remis en cause. Je propose une autre explication : pour de nombreux enfants, l'accueil en pouponnière n'est que la première étape d'un long parcours institutionnel sans que soit clarifié leur projet de vie. Pourront-ils vivre ou non avec leurs parents? Cette question peut rester des années sans réponse.

Plusieurs vidéos montrent la pratique de Loczy, et par exemple celle-ci :

Pour en savoir plus, voir le site web : www.pikler.fr/institut.php

Date de cet article : 2014-09-20


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