Jean Louis Terra a cordonné un dossier paru à la documentation française (voir le lien plus bas) « Dépasser les idées reçues pour intervenir de façon adéquate durant la crise suicidaire permet d'éviter le passage à l'acte »
Il a lui même résumé ce dossier dans l'émission d'Antoine Garapon "le bien commun". En voici un compte rendu.
Le suicide est la cause de plus de 10 000 décès par an et n’est reconnu comme problème de santé publique que depuis une vingtaine d’années.
Le taux de suicide est supérieur en France à celui des autres pays européens ; on sait aussi que
le risque de suicide est multiplié par 10 en cas d'emprisonnement. Là aussi ce taux est très supérieur à celui des autres pays européens.
Comment expliquer cette sur suicidité carcérale ? Suffit-il de s'équiper de kits anti-suicides ; ne faudrait-il pas développer la qualité relationnelle en prison, s'attaquer à la souffrance?
Jean louis Terra présente tout d'abord quelques idées reçues.
Tout d'abord l'idée que le suicide est une mort intentionnelle.
En fait Jean Louis Terra observe que
l'idée de suicide a toujours lieu sur fond d'ambivalence, et cela jusqu'au bout, ce qui légitime une intervention : beaucoup de gens renoncent au suicide, à toutes ses étapes.
On a l'idée que quand quelqu'un est déterminé à se suicider il n'y a rien à faire, mais en fait la personne est déterminée à arrêter de souffrir.
Si la personne est aidée et peut envisager la fin de sa souffrance, soulagée, elle renonce totalement à son projet. |
Parler du suicide, quand on parle de façon humaine, en parlant de la souffrance, soulage la personne.
Il y a de petits signes ; la personne qui souffre envoie des messages, parfois discrets, parfois maladroits, parfois spectaculaires.
On ne comprend ces signes souvent qu'après, d'où l'importance de rechercher ces signes après coup pour apprendre à les décrypter, à les connaitre.
Le suicide est une mort solitaire ; les dernières heures, les derniers jours sont une énigme. Comment mieux en comprendre les signes ? C'est une clinique de la subjectivité, pas : quelles sont les bonnes raisons qu'a la personne de se suicider, mais: comment la personne s'est vue, a vu ses proches, comment a-t-elle vu les personnes sensées lui apporter du soutien ?
Le choc de l'arrestation, de la détention, de la culpabilité.
Pour des personnes qui ont fait des horreurs à leur yeux, l'arrestation met une fin à leur folie. Mais le choc carcéral reste terrible, les personnes parlent d'une chute. D'où l'importance de l'accueil.
La fouille est un moment particulièrement humiliant.
La prison c'est le chantier de la promiscuité et de la sécurité. Le travail pénitentiaire est un ensemble complexe. Certains détenus disent que l'accueil en prison a été pour eux très différent que celui de la garde à vue. L'accueil en prison peut redonner de la dignité. Cela suppose qu'il soit préparé.
les suicides en prison représentent 1% des suicides. Les médias en parlent beaucoup et cela a un effet bivalent : d'un côté cela favorise la mise en oeuvre de politiques de préventions, mais la façon dont certains médias parlent de certains crimes concerne les prisonniers qui ont commis les mêmes crimes.
La volonté de mettre les criminels hors l'humanité a des effets.
Jean louis Terra a étudié différents systèmes pénitentiaires. Il en conclue qu'une politique de prévention est la somme de nombreuses actions :
- s'approcher de la personne blessée
- connaitre sa souffrance
- atténuer sa souffrance : la solitude, la peur de l'échec, le sentiment d'être sans valeur, d'être rejeté, d'être abandonné, de pas pouvoir s'en sortir
Comment mettre en place des politiques préventives personnalisées tout au long de la détention. C'est un véritable défi sachant qu'il y a de nombreux acteurs : pénitentiaire, sociaux, sanitaires, sachant qu'il y a des confidentialités, des cloisons. Comment imaginer un chef d'orchestre invisible qui va coordonner tout cela et qui fasse que la personne va se sentir reconnue, soutenue, protégée.
Chaque groupe professionnel a ses missions mais la prévention des suicides est commune à tous. Jean louis Terra pointe l'importance du premier entretien. Une personne l'accueille la considère et va l'accompagner dans une trajectoire.
Jean louis Terra a repris une idée ancienne en Espagne, en Angleterre, aux états unis : il y a peut être des menaces, de la violence, mais il y a aussi de la protection entre détenus. Cette protection était "sous marine" : on confiait à des detenus repèrés pour leur bienveillance, un soutien de détenus, sans les former, sans leur donner d'outils.
En 2003 Jean louis Terra a proposé des formations de détenus ; ça a paru prématuré mais devant la montée des suicides le projet a été accèpté. Ce sont des modules avec 6 à 8 prisonniers et qui fonctionnent comme les modules que l'on peut
penser pour d'autres intervenants sanitaires ou sociaux. C'est la même formation.
Jean louis Terra a été étonné du niveau des particpants, de la qualité des questions, des capacités d'apprentissage. Il y a des mises en situations, avec des jeux de rôles. Il y a des questions qui gagnent à être travaillé par un détenu qui a vécu le même pasage. Ils sont des modèles humains qui montrent qu'on peut s'en sortir, qu'il y a des solutions humaines. Mais c'est aussi une charge. Nous sommes vigilants sur la séléction des détenus de soutien. Des rendez-vous de 2h par semaine sont prévus pour reprendre avec eux les situations de soutien, les analyser ensemble.
Si un détenu travaille et distribue la nourriture, par exemple, il va pouvoir faire un grand nombre d'évaluations. D'autres détenus leur apporte des informations. Par exemple un détenu a entendu une conversation entre deux détenus, l'un souhaitant s'organiser pour ne pas endetter sa famille avec ses obsèques. Il avait donc un projet suicidaire et il essayait d'en négocier le prix. c'est remonté au groupe de soutien.
Les détenus choisis sont solides et ont déjà fait montre de soutien. Ils ont une foction importante de dépistage et de soutien. Les surveillants, les gradés peuvent leur demander d'accompagner sur des temps spécifiques, par exemple l'accueil des détenus qui reviennent des assises et qui ont pu prendre une peine supérieure à ce qu'ils attendaient.
C'est repris ensuite dans le groupe de soutien.
Dans son rapport en 2003 Jean louis Terra a souhaité mettre en oeuvre des solutions rapidement. D'autres dimensiosn ressortent du système lui même : en Espagne, qui a le taux de suicide le plus faible d'Europe, les détenus peuvent telephoner, se promener, c'est un système beaucoup plus libre. Peut-être parce que l'Espagne a remis complètement son système à plat à la sortie du franquisme. Il faut des crises pour changer le système, d'ailleurs en France le système a changé après des crises : à la libération, avec des députés qui avaient connu la prison, dans les années 80 quand des responsables politiques y sont allés pour des affaires.
L'idée des dispositifs de soutien commence à être accéptée et le dispositif de soutien devrait pouvoir être généralisé. Certaines équipes pénitentiaires ressentent désormais le besoin de s'appuyer sur cette écoute vivante de la souffrance pénitentiaire.
Cela va au delà de la prévention du suicide, cela change la place des détenus, oblige à changer le regard : ils peuvent rendre des services, ces services sont quantifiables, ils peuvent être reconnus ; c'est porteur d'un changement d'organisation, de la recherche de la capabilité des détenus.
Une compétence fondamentale, des détenus disent à Jean louis Terra : cette formation et ce rôle nous obligent à repenser, nous qui passions notre temps à tuer le temps. Cela nous remet des perspectives d'action. Jean louis Terra le voit, les participants se redressent, sont fier de cette tache tout en sachant qu'elle est très difficile. Cette expérience peut aussi servir en psychiatrie.
Concernant la question de la souffrance au travail des surveillants Jean louis Terra a choisi de ne pas du tout s'en occuper. C'est un travail aussi necessaire que d'accompagner la souffrance au travail des autres professionnels, notamment psychiatres (il est psychiatre) mais associer les deux missions lui semble dangereux du fait d'effets de miroir, du type "qui se ressemblen s'assemble", qui aurait des effets contre-productifs.
Par rapport au kit anti-suicide, Jean louis Terra précise que c'est un outil ponctuel, en attendant une intervention humaine, et qui évite que la personne ait "tout pour se pendre". Il ne s'agit pas d'un moyen non humain qui permette d'éviter les moyens humains. Rôle de protection ; ces kits ne sont pas invincibles.
Le voeu de Jean louis Terra est que tout ceux qui sont engagés dans la prévention ne se découragent pas et gardent le moral ; c'est un travail très difficile et les résultats ne sont pas là ; ils ont été là en 2006 et 2007; ils ont été perdus, il faut tenir.