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Le projet pour l'enfant. Penser ses limites

L’évolution du PPE entre les lois de 2007 et 2016 est présentée dans un autre article sur ce site.
Je propose ici de réfléchir aux obstacles à sa mise en œuvre.

Abordons tout d’abord le contexte.
Robert Lafore décrit la complexité de l’organisation de la protection de l’enfance, qui doit « concilier au moins trois séries d’intérêts en conflit :

  • ceux concernant l’enfant lui-même qui se trouve doté d’un certain nombre de droits et de prérogatives dont la prise en compte est normalement remise aux familles, à la puissance paternelle dans l’épure originelle ;
  • ceux liés aux « familles », notamment aux pères et mères et qui sont eux aussi enserrés dans un cadre de droits et d’obligations que les normes sociales amènent à leur conférer sous la forme de prérogatives propres et immergées dans l’espace privé ;
  • ceux de la collectivité qui, intervenant du fait de dysfonctionnement dans l’économie des droits et obligations précités, entend au nom de l’intérêt général qui les surplombe, s’immiscer dans la vie familiale et/ou se substituer aux familles".
Ajoutons à cette complexité le problème que pose le mot « enfant », pouvant désigner quatre grands types d’âge : petite enfance, enfance, adolescence, entrée dans l’âge adulte.
De même le mot « famille » devient problématique avec la multiplication des recompositions familiales et le fait que de nombreux tiers partagent la vie des enfants (conjoints des parents, quasi-frères et sœurs). La loi demande à l’ASE de prendre en compte ces proches (6° mission de l’ASE), ce n’est pas le cas pour le juge des enfants…
Les conflits et violences conjugales étant devenue une cause majeure de protection, la protection des enfants par deux juges, le juge des enfants et le juge des affaires familiales, est de plus en plus problématique.

Le PPE a de multiples visées : respect de l’autorité parentale ; centration sur les besoins de l’enfant ; articulation entre les professionnels ; articulation entre ces professionnels et les parents ; participation de l’enfant ou du jeune ; constitution d’un historique de l’ensemble des interventions....

Robert Lafore souligne le changement de place de l’ASE dans la conception actuelle du PPE : « Voulant déplacer le centre de gravité du système institutionnel de la juridiction des mineurs vers l’ASE et le président du conseil départemental, il met en avant la volonté d’instaurer un traitement « social » des difficultés familiales en valorisant les politiques d’accompagnement et de prévention par rapport aux interventions judiciaires ; il entend aussi introduire le maximum de rationalité et de cohérence dans les interventions en poussant à une meilleure coordination entre les acteurs, cela sous l’autorité des services départementaux ; enfin, il réédite le choix déjà ancien d’une possible harmonisation des intérêts entre les enfants, les parents et les services ».

Un obstacle apparaît d’emblée : chacun des objectifs demande du temps, des moyens, des rencontres, une importante organisation.
D’autre part, la philosophie du PPE suppose des parents engagés dans une coopération avec les professionnels (et inversement). Or cette collaboration est un objectif permanent plutôt qu’un point de départ.
Cette coopération étant la clef du succès, ne pas l’évaluer (des deux côtés) est problématique. En Grande Bretagne et au Québec, un outil d’évaluation de l’engagement parental comporte cinq niveaux, avec « un score global de 1 (faiblement engagé) à 5 (fortement engagé) à partir de ces observations portant sur les éléments suivants :

  1. le respect de la fréquence des contacts parent-enfant ;
  2. l’engagement émotionnel du parent envers l’enfant placé ;
  3. l’intégration de l’enfant dans un projet de réunification réaliste exprimé par le parent biologique ;
  4. les démarches entreprises dans le but de remédier à la situation de compromission ;
  5. la considération de l’enfant dans l’organisation de son temps. »

Quand des parents sont désengagés, ce qui est fréquent dans les placements de longue durée, l’outil PPE devient inopérant. En effet il est centré sur les besoins de l’enfant, mais pas sur ceux des parents. Et dans le système actuel, savoir qui soutient les parents d’un enfant placé n’est pas clair : le référent ASE (en a-t-il les moyens ?), le référent de proximité ? (avec quels outils ?).
Le risque, dans l'utilisation du PPE, est qu'en se centrant sur les besoins de l'enfant à partir de son lieu d'accueil, on évacue ces questions essentielles : le placement est-il provisoire ? Y-a-t-il un projet de retour ?

A ce sujet, je conseille de lire, sur ce site, le texte sur la notion de projet de vie. Cette notion permet de distinguer les situations de placement où il y a un projet de vie dans la famille (alors le PPE est tout à fait adapté) et celles où il n'y a pas de projet de vie en famille (le PPE me parait alors inadapté).

Pour en savoir plus, voir le site web : www.reforme-enfance.fr/documents/groupe_dappui_ppe.pdf

Date de cet article : 2023-11-08


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