Tout d'abord
je vous propose de lire le texte de la loi, ses 49 articles présentés en trois parties :
Titre Ier : améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l'enfance ;
Titre II : Sécuriser le parcours de l'enfant en protection de l'enfance ;
Titre III : Adapter le statut de l'enfant placé sur le long terme.
La loi du 14 mars 2016 vient compléter la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance ; elle a été précédée du rapport d'Adeline Goutenoire, "40 propositions pour adapter la protection de l'enfance et l'adoption aujourd'hui" et du rapport des sénatrices Dini et Meunier, qui ont servi de base à la préparation de la loi
Une question essentielle dans ces rapports est la stabilisation des parcours des enfants placés : « La sécurisation du parcours de l’enfant confié passe à la fois par l’instauration de garanties au profit de l’enfant et des adultes qui l’entourent mais également par la possibilité de lui offrir l’accès à un statut plus stable au fur et à mesure de l’écoulement du temps. »
La première garantie pour l’enfant réside sans aucun doute dans la concertation des différentes adultes qui l’entourent et participent à sa prise en charge : parent, famille d’accueil, représentants du service gardien. Cette concertation doit s’inscrire dans la durée et intervenir plus particulièrement lors des moments marquants de la prise en charge. Il convient ainsi de prévoir une concertation au moment de la mise en place de la mesure, mais également lors des modifications des modalités de mise en œuvre de celle-ci. « (rapport Gouttenoire p 39)
La nouvelle loi reprend la précédente loi (du 5 mars 2007) à partir du constat d’une faible application de principes centraux, par exemple l’utilisation du projet pour l’enfant ( PPE) et plus généralement d’une application très hétérogènes selon les départements. Ainsi par exemple, concernant les enfants délaissés les rapports de l’ONED pointent que douze départements n’appliquent pas du tout l’article 350.
En réaction l’état impose aux départements, par de nombreux décrets, l’utilisation impérative d’outils, notamment du PPE, avec 14 éléments qui doivent impérativement y figurer. De même des commissions doivent réexaminer le statut de l’enfant après deux années de placements et faire des propositions au juge des enfants.
Nous avons de sérieux doutes sur cette méthode. Tout d’abord tous ces outils obligatoires, ceux de la loi 2002.2, de la loi de 2007 puis de 2016 multiplient les actes administratifs. Par exemple faire impérativement figurer les actes usuels qu’une famille d’accueil ne peut faire sans prévenir le service gardien vient aggraver une dérive : la multiplication des listes d’actes non-usuels de l’éducation (ce qui conduit à inclure en fait des actes usuels), qui rend difficile pour les enfants placés de mener une vie ordinaire.
Une organisation trop complexe implique structurellement des fonctionnements hétérogènes. Michel CROZIER a écrit (en 1979 !) « On ne change pas la société par décret ». Ces décrets impliquent pour les 101 départements (qui depuis les lois de décentralisation pilotent la protection de l’enfance) de mettre des moyens supplémentaires au moment où l’état diminue nettement sa contribution.
Cependant cette loi est utile car elle clarifie qui fait quoi, et particulièrement l’articulation entre la justice des mineurs et le département.
La contradiction que nous voyons actuellement est que l’esprit des lois est celui d’un travail en commun, professionnels, parents, enfants. Mais nombre d'organisations ne sont pas basées sur ce travail en commun. Le fonctionnement des administrations est trop souvent basé sur des interventions successives de très nombreux acteurs et ceux qui vivent avec les enfants (familles d’accueil, éducateurs du quotidien de l’enfant, parents) d’une part ne se rencontrent guère (il y a une culture de l’évitement) et d’autre part sont exclus des réunions décisionnelles (ainsi le juge des enfants ne rencontre jamais les familles d’accueil, même après quinze années de placement).
Aussi, si nous reprenons la citation du rapport Goutenoire précédemment citée : « La première garantie pour l’enfant réside sans aucun doute dans la concertation des différentes adultes qui l’entourent et participent à sa prise en charge : parent, famille d’accueil, représentants du service gardien. », nous voyons que le risque est grand que perdure l’absence des « acteurs faibles" dans les décisions.
Extrait du rapport Dini-Meunier concernant la formation : "S'agissant des travailleurs sociaux, les diverses observations recueillies peuvent se résumer en six points :
- de façon générale, une connaissance très imparfaite des enjeux et du contenu de la loi de 2007 ;
- un fossé entre les apprentissages théoriques et la pratique, les travailleurs sociaux n'étant finalement pas suffisamment armés sur le terrain pour faire face aux réalités de plus en plus complexes de la protection de l'enfance ;
- une formation initiale trop axée sur la méthodologie de projet et pas assez sur l'analyse des situations ;
- la nécessité de recentrer la formation initiale sur la relation éducative, l'accompagnement des familles et sur le « faire avec » l'enfant ;
- dans certains cas, une formation insuffisante aux écrits qui n'apparaissent pas assez structurés et précis, notamment en ce qui concerne les rapports aux magistrats et les changements de statuts ;
- une formation continue globalement insuffisante, s'agissant en particulier des aspects juridiques liés à l'évolution de la législation".
Les commissions d’examen de la situation des enfants confiés à l’ASE (CESSEC)
L’article 26 de la loi prévoit la mise en place au sein du conseil départemental "d’une commission pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle chargée d’examiner la situation des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance depuis plus d’un an lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins et d’examiner tous les six mois la situation des enfants de moins de deux ans".
Un enjeu déterminant va être la définition de ce risque de délaissement.
La définition légale du délaissement, qui est assimilé à un abandon explicite de l’enfant ne permet pas de concevoir des degrés de délaissement et notamment deux de ses formes : le délaissement progressif et le délaissement intermittent.
C’est un enjeu important pour les CESSEC.
Je propose de distinguer l’abandon comme inexistence des liens, et le délaissement comme insuffisance des relations.
Voici la présentation de la loi par l'Office National de la Protection de l'Enfance (ONPE)
Un bon résumé de la loi sur le site Vie-Publique.fr Protection de l’enfance : de l’aide aux familles à la défense de l’intérêt de l’enfant
L'esprit de la loi est bien présenté dans La feuille de route de la protection de l'enfance 2015-2017
Christophe DAADOUCH et Pierre VERDIER présentent dans ce texte les onze décrets d'application de la loi du 14 mars 2016 :
Protection de l’enfance : ce qui change avec la loi du 14 mars 2016 et ses onze décrets