Le linguiste Alain Bentolila livre des analyses très stimulantes sur l'échec massif de l'apprentissage de la lecture puis de l'écriture pour 10 pour cent des élèves. L'explication, très simple, est que les enfants ne peuvent bien apprendre à écrire s'ils n'ont pas à l'oral les mots
correspondant à ceux qu'ils écrivent. Faute de cette correspondance, le sens se perd et l'enfant se décourage.
"10% des enfants qui entrent au cours préparatoire disposent de moins de 500 mots, au lieu de 1 200 en moyenne pour les autres. Cela a deux conséquences. La première est que leur pouvoir sur le monde s'en trouve limité. La seconde, c'est que cela les enferme dans un ghetto et favorise un communautarisme croissant. Il existe ainsi en France une véritable inégalité linguistique, qui se traduit par une grave inégalité sociale."
Même si les propos d'Alain Bentolila sur les jeunes des cités me semblent excessifs et trop généralisateurs, son argumentation est interessante : "Il y a une loi simple en linguistique: moins on a de mots à sa disposition, plus on les utilise et plus ils perdent en précision. On a alors tendance à compenser l'imprécision de son vocabulaire par la connivence avec ses interlocuteurs, à ne plus communiquer qu'avec un nombre de gens restreint. La pauvreté linguistique favorise le ghetto; le ghetto conforte la pauvreté linguistique. En ce sens, l'insécurité linguistique engendre une sorte d'autisme social. Quand les gamins de banlieue ne maîtrisent que 800 mots, alors que les autres enfants français en possèdent plus de 2 500, il y a un déséquilibre énorme."
Le "couloir de l'illetrisme" décrit par le linguiste est impressionnant et très inquiètant: "A 7 ans, au lieu de comprendre des textes simples, ils en sont à déchiffrer péniblement les mots. A 11 ans, ils cherchent difficilement les informations dans un texte. Le collège les achève: "Tu ne sais pas lire!" clame le prof de math. "Tu ne sais pas lire", dit le prof d'histoire... C'est faux! Ils savent un peu lire, mais pas assez efficacement pour maîtriser les textes des différentes disciplines. Sur 100 élèves de sixième en difficulté, 94 le sont encore en troisième. Plus ils avancent dans le couloir, plus les portes de sortie sont rares. A 16 ans, c'est l'échec scolaire assuré. Souvent, le découragement. Parfois, la révolte, la violence."
La précarité socio-culturelle est clairement à l'origine du problème :
"Si l'on met à part les sujets souffrant de difficultés de lecture, comme la dyslexie et la dysphasie (3% des enfants concernés), et les cas d'illettrisme rural, dû à l'isolement, la plupart de ces jeunes viennent de la précarité. Le taux d'illettrés atteint plus de 30% parmi les allocataires du RMI. A la fin du XIXe siècle, il y avait 50% d'analphabètes en France, ce qui était considérable, mais ceux-ci n'étaient pas mis à l'écart de la société. Aujourd'hui, savoir lire et écrire est décisif. Même les aides jardiniers ou les mécaniciens auto doivent maîtriser des catalogues techniques, entrer des données, procéder à des actes de lecture et d'écriture complexes. Or 11,6% des jeunes Français entre 17 et 25 ans comprennent difficilement un texte court, un mode d'emploi ou un document administratif et ne savent pas utiliser un plan ou un tableau. Ils sont d'autant plus exclus que l'illettrisme est considéré comme une maladie honteuse"
Cest travaux sont aussi très important concernant l'accompagnement des jeunes d'origine étrangère. Contre les jugements stigmatisant les parents qui ne parlent pas le français à la maison, Alain Bentolila montre qu'il faudrait au contraire valoriser la langue d'origine, faciliter sa pratique orale et tout ce qui permet de l'enrichir.
En plus de l'article de l'Express dont sont tirées les citations qui précèdent (voir le lien vers cet article plus bas) je conseille le texte d'un formateur en FLE (français langue étrangère) expliquant comment il a pu prendre appui sur les travaux de Bentolila Pour lire l'article cliquer ici