"Le concept de disqualification sociale renvoie au processus d’affaiblissement ou de rupture des liens de l’individu avec la société au sens de la perte de la protection et de la reconnaissance sociale. L’homme socialement disqualifié est à la fois vulnérable face à l’avenir et accablé par le poids du regard négatif qu’autrui porte sur lui".
Je conseille tout d'abord la lecture de la Préface à la huitième édition. "La disqualification sociale, vingt ans après".
Extrait : "comme la précarité professionnelle ne touche pas de façon égale l’ensemble des salariés, on peut dire que la précarité d’une partie d’entre eux, en particulier les jeunes, mais aussi les femmes, favorise l’épanouissement et la stabilité des autres. Autrement dit, pour s’adapter à la concurrence internationale et faire baisser le chômage, un consensus implicite a été trouvé pour exposer une partie des salariés à la précarité, ce qui a permis aux autres de continuer à bénéficier de tous les avantages attachés au travail valorisant et à la stabilité de l’emploi. Ainsi, tout comme le processus de disqualification sociale des assistés révèle les relations d’interdépendance entre les parties constitutives de l’ensemble de la structure sociale, le processus de disqualification sociale des salariés précaires n’est pas une anomalie de ce système. Il s’inscrit au cœur même de celui-ci et correspond aux intérêts, souvent dissimulés, de certains responsables économiques, sociaux et politiques."
Le site CERISCOPE a publié un dossier approfondi : Les formes contemporaines de la disqualification sociale.
Serge Paugam y résume le livre de 1991, issu de sa thèse, puis développe les changements majeurs dont il faut tenir compte pour évaluer les formes contemporaines de la disqualification sociale.
Extrait : "L’ouvrage de 1991 avait permis de vérifier cinq hypothèses que l’on peut résumer ainsi : 1) Le fait même d’être assisté assigne les « pauvres » à une carrière spécifique, altère leur identité préalable et devient un stigmate marquant l’ensemble de leurs rapports avec autrui ; 2) Si les pauvres, par le fait d’être assistés, ne peuvent avoir qu’un statut social dévalorisé qui les disqualifie ; ils restent malgré tout pleinement membres de la société dont ils constituent pour ainsi dire la dernière strate ; 3) Si les pauvres sont stigmatisés, ils conservent des moyens de résistance au discrédit qui les accable ; 4) Le processus de disqualification sociale comporte plusieurs phases (fragilité, dépendance et rupture des liens sociaux) ; 5) Les trois conditions socio-historiques de l’amplification de ce processus sont : un niveau élevé de développement économique associé à une forte dégradation du marché de l’emploi ; une plus grande fragilité de la sociabilité familiale et des réseaux d’aide privée ; une politique sociale de lutte contre la pauvreté qui se fonde de plus en plus sur des mesures catégorielles proches de l’assistance."
|...] "Au terme de cette recherche, il était possible d’élargir le concept de disqualification sociale aux salariés en situation de précarité. Les résultats présentés ont permis de vérifier que, plus la déviation est importante par rapport à l’intégration assurée, plus le risque de retrait de la vie sociale est élevé. En reprenant l’image de Maurice Halbwachs, on pourrait dire que l’intégration assurée est aujourd’hui le « foyer central » qui procure la « vie sociale la plus intense » (Halbwachs, 1912). Autrement dit, la satisfaction dans le travail et la stabilité de l’emploi constituent les combustibles de ce foyer central. Lorsque les individus en sont éloignés, ils ont moins de chances de participer aux échanges, d’être intégrés dans des réseaux divers et de s’enrichir mutuellement. Si leur exclusion reste relative, la distance qui les sépare du foyer central les met de plus en plus en contact avec le « dehors » et leur donne à la longue une image négative d’eux-mêmes propice au découragement."
Dans les 20 années qui suivent la publication du livre, Serge Paugam observe une évolution de la perception des pauvres. Il pointe que cette perception est polarisée entre pauvres victimes du système (il faut le aider) et pauvres responsables de leur pauvreté (il faut les punir). Si une grande majorité des français est favorable à la création du RMI, à la fin des années 80, la perception de la pauvreté change dans les deux décennies suivants :
"Cette transformation de la perception de la pauvreté s’est traduite aussi par un retournement de l’opinion publique française vis-à-vis du RMI. En 1989, 29% des personnes interrogées en France considéraient que ce dernier risquait d’encourager les allocataires à ne pas chercher du travail. Cette proportion est passée à 53% en 2000 et s’est maintenue à un taux supérieur à 50% pendant plusieurs années. En 2007, lors de l’élection présidentielle, elle était de 51%. Les salariés précaires exprimaient souvent une critique sévère à l’égard des assistés. Ceux qui travaillaient pour un maigre salaire jugeaient en effet inacceptable que d’autres ne travaillent pas et vivent des allocations. "
Cela conduit à diminuer les aides et augmenter l'exigence de travailler, quelques soient les conditions, ce qui favorise ce que Robert Castel nomme la société du précariat :
"L’exemple du RSA est sur ce point particulièrement significatif. Pour réduire le chômage de longue durée, dont de nombreux allocataires des minima sociaux sont victimes, on postule qu’il est souhaitable pour eux de pouvoir cumuler un petit revenu d’activité et une allocation d’assistance. On crée donc officiellement un nouveau statut : celui de travailleur précaire assisté. Si l’on peut espérer que, pour certains, ce statut ne sera qu’un pis-aller temporaire avant d’accéder à un emploi stable non assisté, on peut déjà craindre que le RSA participe à un mode généralisé de mise au travail des plus pauvres dans les segments les plus dégradés du marché de l’emploi."