Parmi les incontournables de la formation d'éducateur spécialisé, ce livre de Guy Dréano, qui comprend une approche historique très complète, et dont je conseille particulièrement le chapitre 15 : "L'institution, un appui pour l'exercice".
Guy Dréano y montre que l'institution a deux piliers, le droit et l'éthique. La présentation très détaillée et concrète de ce qu'il entend par éthique est un outil de travail précieux, quelle que soit l'institution où l'on travaille.
Voici une présentation de ce livre par l'éditeur, sous forme d'interview, en 2003.
"Tout savoir sur l'éducation spécialisée, des fondements historiques à la réalité
actuelle du métier.
L'éducation spécialisée constitue de nos jours un secteur professionnel à part
entière, avec différents métiers et des formations spécifiques. Guy Dréano,
éducateur, formateur, administrateur, a été témoin et acteur de l'évolution de ce
secteur particulier de l'action sociale depuis le début de sa carrière. Son Guide de
l’Éducation spécialisée (Dunod, 2003, 2e édition entièrement revue), propose
repères et réflexion pour encadrer l’action, dans le contexte notamment de la loi du 2
janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
Quels sont actuellement les différents publics concernés par l'éducation
spécialisée ?
C’est au cours de la Seconde Guerre mondiale, que prend corps le concept, qui
cheminait depuis un certain temps, "d’enfance inadaptée". Ce terme recouvrait alors
toutes les difficultés d’adaptation de l’enfance : les déficiences mentales et physiques
ainsi que les désordres de la conduite, dont la délinquance. En fait, et pendant un
certain temps, les premiers acteurs de ce qui allait devenir l’éducation spécialisée
s’intéressèrent surtout aux jeunes délinquants, puis ils intervinrent de plus en plus
auprès d’autres catégories de difficultés, leur champ s’agrandissant d’ailleurs peu à
peu à l’adolescence, puis aux jeunes adultes et, depuis ces dernières années, à
toute personne en difficulté d’insertion sociale qui peut bénéficier de cette forme
d’accompagnement pour récupérer, développer, maintenir les différents registres de
son autonomie. Parallèlement à cette évolution, la notion d’inadaptation perdait peu à
peu son usage générique, alors que se développaient et se précisaient les notions
de handicap, l’éducation spécialisée s’avérant un recours dans les champs de l’aide
sociale, du médico-social, voire du sanitaire (secteur psychiatrique).
Dans le contexte de l'action sociale, quelle est la fonction exacte de l'éducation
spécialisée ?
Disons d’abord que, dans la mesure où les éducateurs sont amenés à intervenir
auprès d'adultes, on parle aussi, maintenant, d'accompagnement spécialisé, le terme
éducation évoquant davantage l'enfance. Cet accompagnement social spécialisé
concerne l'ensemble des personnes pour lesquelles l'environnement naturel, en
particulier la famille, ne peut pas, ne veut pas ou ne sait pas s'occuper. Les
professionnels de l'éducation spécialisée sont chargés d'assurer cette suppléance.
Pendant très longtemps, les éducateurs fonctionnaient un peu comme s'ils étaient
des substituts des parents, mais aujourd'hui, c'est la fonction de suppléance qui
prévaut. Dans le passé, un enfant placé était considéré comme un enfant orphelin,
sa famille était véritablement mise entre parenthèses. À l'inverse, actuellement,
même quand les parents ne peuvent pas, ne veulent pas ou ne savent pas s'occuper
d'un enfant, ceux qui en assurent la suppléance doivent s'appliquer à faire vivre le
plus possible la famille, y compris dans les situations où la justice intervient ou dans
les cas, très rares, de déchéance parentale. Cette suppléance implique un
engagement quotidien auprès des personnes accompagnées.
À l'origine, la profession s'exerçait presque exclusivement dans des lieux
résidentiels, des internats. Progressivement d'autres structures plus ouvertes sont
apparues - externat, semi-internat et l'éducation dite en milieu ouvert, où se
distinguent deux formules : les actions éducatives "en milieu ouvert" (AEMO) qui sont
des mesures prises de manière nominative, et les actions de prévention qui se font,
elles, sans mandat, de manière anonyme, au gré des relations qui vont pouvoir
s’établir avec ceux (individus et groupes) que les éducateurs vont juger prioritaires.
L'éducation spécialisée représente-t-elle un secteur professionnel à part
entière ?
L'éducation spécialisée recouvre aujourd’hui plusieurs professions : d’une part, les
éducateurs spécialisés, qui constituent le socle de la profession et qui sont encore
les plus nombreux, et les moniteurs-éducateurs. Cet ensemble représente
actuellement une population de 100 000 personnes, ce qui devient considérable.
D’autre part, les aides médico-psychologiques (objet d’un autre guide, 2e édition à
paraître), qui ont développé un corps professionnel peu à peu spécifique aux
difficultés de la grande dépendance, secteur dans lequel intervenaient très peu les
éducateurs spécialisés.
Acteurs essentiels de l'accompagnement éducatif et social, les éducateurs
spécialisés exercent-ils toujours le même métier, qu'ils travaillent auprès
d'enfants, d'adolescents ou encore de personnes handicapées ?
La formation propose les principes et les enseignements fondamentaux, et surtout,
elle amène à se poser les bonnes questions, dont les réponses ne seront pas
exactement les mêmes en fonction des populations. En ce sens, la profession
recouvre des métiers très divers – être éducateur en prévention avec des hors-la-loi
est très différent du travail avec des enfants trisomiques ou des personnes qui ont
subi un traumatisme crânien. L'approche de chaque population est différente, ce qui
implique que les métiers, petit à petit, se différencient. D'où la nécessité, au-delà des
formations polyvalentes de base, d'organiser une formation complémentaire et
spécifique à chaque métier au cours de l’activité.
La fonction d'éducateur requiert-elle des qualités particulières ?
Ce genre de travail demande avant tout d'avoir la conviction personnelle que les
personnes accompagnées ont toutes, quelle que soit leur situation, quelque chose à
voir avec soi. Si on ne peut pas s'identifier un tant soit peu à l'autre, on ne peut pas
l'aider. Un minimum d'empathie pour les personnes dont on s'occupe est nécessaire
: pour moi, c'est une priorité. Ensuite, le métier d'éducateur implique d'avoir un très
fort désir d'aider les autres, sans toutefois tomber dans l'excès de croire aux
miracles. Il faut être raisonnablement fou !
Par ailleurs, la part d'engagement est importante. On ne peut pas être éducateur si
on n'a pas un certain idéal et si on n’éprouve pas un certain plaisir à rechercher des
leviers qui vont faire aller les choses dans le sens d’un mieux-être pour l’autre.
Actuellement, on peut vivre convenablement de ce métier et on peut même y faire
une carrière, mais à défaut d’un certain engagement, outre l’absence certaine de
résultats, on risque de beaucoup s’ennuyer. Enfin, selon les lieux, les compétences
requises sont différentes mais la patience et la persévérance sont toujours
nécessaires. En fait, si le métier d'éducateur demande de nombreuses qualités, les
bons éducateurs ont souvent des personnalités différentes et il n'existe pas de
prototype du "bon éducateur".
La formation professionnelle répond-elle, selon vous, aux besoins du terrain ?
Dans toute profession, l'adéquation entre la formation suivie à l'école et la réalité du
terrain est rarement parfaite. Pour avoir dirigé une école pendant un certain nombre
d'années, et connaître assez bien les autres écoles, il me semble que ce secteur
professionnel peut être assez fier de son dispositif de formation, qui peut sans doute
faire toujours mieux, mais qui, quand on s’y intéresse de près, a toujours été à la
pointe des innovations en matière de formation : alternance, transversalité,
modularité, accompagnement individualisé, parcours personnalisé, groupes de
réflexion sur les pratiques, effort constant pour associer les professionnels "terrain" à
la démarche de formation… Tout cela se traduit par des lieux aux identités
suffisamment marquées pour qu’au-delà des programmes, l’effet formation
transcende.
Je pense que l'essentiel dans la formation ne réside pas dans les réponses que l'on
apporte aux étudiants, mais dans le fait de les entraîner à se poser les bonnes
questions. Or actuellement, face à la nécessité de former de plus en plus
d'éducateurs pour combler les déficits, la formation court le risque de devenir trop
universitaire et, ainsi, de ne plus créer suffisamment les conditions pour que les
étudiants se posent des questions et développent une vraie conscience des
problèmes.
Pour résumer, la formation est indispensable, elle est nécessaire avant de se lancer
sur le terrain, mais elle est surtout essentielle tout au long de la vie professionnelle,
avec une articulation à la pratique pour permettre de réfléchir sur cette pratique.
"Comment faire toujours mieux" est finalement un état d’esprit, une discipline qui
oblige à propos de tout de se poser inlassablement la question du bien fondé des
actions.
Longtemps attendue, la loi de rénovation de l'action sociale et médico-sociale
a été adoptée le 2 janvier 2002. Quelle est la portée de cette loi pour l'éducation
spécialisée ?
En fait, cette loi entérine et rend obligatoire un certain nombre de pratiques et de
valeurs qui, pour la plupart, étaient déjà en vigueur dans la majorité des structures de
l'éducation spécialisée. Cette loi conforte donc le fait que le sujet et son projet
priment sur la structure. En particulier, elle insiste sur le respect des personnes, le
souci de leur dignité, de leur intégrité et de leur vie privée. Cette loi développe aussi
l'idée que les personnes accompagnées doivent être véritablement actrices de leur
vie, les structures et les éducateurs qui les accueillent doivent créer les conditions
des possibles pour favoriser leur autonomie. Elle rappelle la nécessité d'essayer de
maintenir les personnes dans leur lieu habituel, d'éviter les abus de pouvoir dans les
institutions et d'encourager la participation des familles et des représentants de ces
personnes.
Au-delà de la loi même et du discours qui l'entoure, je crois qu'il est important que
toutes les intentions soient traduites de manière pratique et quotidienne dans la vie
des institutions. Pour cela, il convient que les institutions mettent en place, à chaque
fois que ce n'est pas encore le cas, des laboratoires de réflexion, des lieux où,
régulièrement, se pose la question de l’amélioration de la pratique. Car le droit ne
remplace pas l'éthique, et si la loi de 2002 n'est pas accompagnée par une démarche
éthique constante et très profonde, elle peut rester lettre morte.
Vous êtes très impliqué professionnellement dans le secteur social et médicosocial,
comment imaginez-vous l'avenir de l'éducation spécialisée ?
Les besoins en la matière sont en constante progression et la demande restera
longtemps importante. Sans doute les structures vont encore et régulièrement
évoluer, sans doute également pourrons-nous profiter de nouveaux éclairages, de
même que les valeurs à l’oeuvre seront aussi amenées à évoluer. En définitive,
l’éducation spécialisée restera une activité complexe, non réductible à l’une ou l’autre
théorie, et où la dimension humaine fera toujours la différence, dans des
circonstances (vie quotidienne suffisamment partagée entre les éducateurs et les
personnes accompagnées) qui, espérons-le, en fourniront la substance, dans des
conditions compatibles avec l’exercice de ces professions.
© DUNOD, 10 Février 2003"