philippefabry.eu, pour la formation en travail social Philippe Fabry » Livres » Paul Fustier : Les Corridors du quotidien. La relation d'accompagnement dans les établissements spécialisés pour enfants. Les Corridors du quotidien. La relation d'accompagnement dans les établissements spécialisés pour enfants., par Paul FustierL'introduction et la conclusion de ce petit livre résument bien le projet et le propos de Paul Fustier, qui présente ainsi son plan (p 9) : « Cet ouvrage commence par l'exposé d'un thème (les quatre premiers chapitres). Le thème forme une unité : il est une tentative d'élaboration d'une théorie de l'accompagnement de la vie ordinaire en institution : il s'agit de réfléchir aux significations que prennent pour la personne accueillie les dispositifs que l'institution met en place et les pratiques de ceux qui ont à charge le quotidien. Le quatrième chapitre est une reprise conclusive sur le thème, il fait le point sur la problématique ». Le 5ème chapitre, qui reprend le concept de cadre élaboré par Bleger, permet d'enrichir la thématique précédemment développée. Les quatre chapitres qui succèdent au thème peuvent être lues de façon indépendante, chacun forme un tout, qui a son propre sens, mais doit être aussi considéré comme la reprise d'une des caractéristiques du thème envisagé sous un angle particulier.
Premier chapitre : « l'institution du manque à combler ». L'institution dont il s'agit est l'éducation spécialisée (et plus généralement le travail social). Pour l'auteur, elle s'est constituée sur une conception de l'aide comme réponse à des manques. Les « théories spontanées » (Cf texte de Fustier dans Kaes et al, « l'institution et les institutions », Dunod, Paris 1987) qui ont trait à cette conception ont un point commun : l'aide s'y présente comme du plein face à un problème de vide. Ainsi prédomine l'idée selon laquelle les enfants inadaptés ont manqué d'amour, notamment en raison d'une carence familiale. Si l'on donne à l'enfant l'amour qui lui a manqué ses problèmes disparaîtront (citation de Noël et Soulé : « Si nous l'aimons et l'élevons parfaitement, il ne sera ni menteur, ni coléreux, ni chapardeur, ni passif, ni agressif. »). « Si la réponse par « le plein » persiste avec autant de constante, c'est qu'elle fonctionne comme une reprise possible d'une relation mère-enfant très archaïque, qui tend à se réactualiser chez l'enfant carencé. » (p 13). Reprenant la théorie de Winnicott selon laquelle la mère en anticipant les demandes de son enfant crée chez lui l'illusion que c'est son désir qui crée sa mère (l'enfant hallucine le sein et la dévotion maternelle fait que le sein est là au même moment), Fustier fait l'hypothèse que la dévotion maternelle en se manifestant dans l'institution au travers des soins, va provoquer chez l'enfant carencé l'illusion qu'il peut retrouver la mère toute dévouée qui a été perdue (pour Winnicott la tendance anti-sociale marque l'échec de la désillusion).
Cette illusion de l'enfant constitue un appel pour l'adulte en charge de s'occuper de l'enfant. Cet espoir le convoque « à une place d'idéal; il est celui qui réussira là où les autres ont échoué. » Un travail essentiel pour l'éducateur est donc de travailler sur cette illusion et de faire un deuil de l'idéal maternel. P.F insiste cependant sur l'importance de ne pas rejeter ce que l'enfant projette sur l'éducateur. Pour qu'un travail de désillusion puisse se faire il faut que « quelque chose puisse être échangé sur les affects liés au désir, et au désir déçu. » (p 88) Deux attitudes professionnelles font donc obstacle à une élaboration sur les investissements affectifs des jeunes et des professionnels : quand l'idéologie de l'institution amène à être pris dans l'idéal de dévotion maternelle, ou quand une idéologie technicienne amène à vouloir lever l'ambiguïté des relations personnelles et professionnelles en se situant très clairement comme professionnel salarié. Fustier fait à nouveau référence à Winnicott et au caractère trouvé-créé de l'objet transitionnel. Ce qui permet à un objet d'être transitionnel c'est l'ambiguïté entre objet trouvé et objet créé (citation de Winnicott : « l'enfant rassemble des objets ou des phénomènes appartenant à la réalité extérieure, et les utilise en les mettant au service de ce qu'il a pu prélever de la réalité interne ou personnelle. ») Une institution transitionnelle essaye de contenir le paradoxe d'être et de ne pas être une famille. La situation d'étayage permet à l'institution de pouvoir être perçue comme famille « trouvée » par l'enfant en lui permettant de rejouer des éléments de sa situation familiale. Le caractère transitionnel de l'institutionnel tient donc à cet espace de jeu fantasmatique et pas au caractère instable (ou sans cesse modifié par les demandes) de l'institution. P. F. fait référence à René Roussillon et à l'importance du « détruit-trouvé » : « l'objet est trouvé dans la réalité externe s'il est détruit (dans le fantasme) mais survit à cette destructivité, c'est à dire que s'il est atteint par celle-ci, il reste néanmoins permanent et stable, ce qui se manifeste par le fait qu'il n'exerce pas de représailles contre le sujet, ni du côté de la rétorsion ni du côté du retrait. » P. Fustier décrit trois situations où le paradoxe n'est plus contenu. Dans ces trois cas l'ambiguïté de la position de l'éducateur ou de l'institution est levée, amenant une impossibi1ité de l'ambivalence, une disparition du « jeu » entre imaginaire et réalité et donc un conflit dans la réalité. Dans le premier cas, les critiques d'une mère sur le linge et la propreté amènent une éducatrice à se mettre en rivalité avec cette mère. En temps normal, l'éducatrice contient fort bien sa position de parent non parent. Les deux propositions sont compatibles car elles ne s'expriment pas sur le même niveau. L'habilité psychologique de la mère consiste à convoquer chez l'éducatrice une position concurrente dans la réalité. De ce fait l'éducatrice est dépossédée de l'ambiguïté de sa position et est coincée dans une position de mère concurrente. Dans le deuxième cas, le paradoxe risque de n'être plus contenu parce que l'enfant demande à l'éducateur, dans la réalité, s'il est l'idéal de dévotion maternelle : est-il prêt à rester au-delà de ses horaires professionnels? Est-il prêt à en faire autant pour l'enfant placé que pour son propre enfant ? A cette « zone frontière » deux types de réponse dans la réalité amènent une détransitionnalisation : soit que l'éducateur culpabilisé réponde à cette demande de dévotion et reste, soit qu'il affirme sa professionnalité. « Il s'agit de traiter l'impossible dévotion maternelle, de permettre le deuil de l'idéal ; il s'agit donc de pratiques symboliques ; elles disent ce qui peut être réalisé, et analysent la frustration qui procède du décollement entre idéal et réalité. De ce travai1 on peut espérer une retransitionalisation." (p 80)
Dans le troisième exemple, c'est l'organisation d'une fête de Noël qui a amené une détransitionalisation ; le foyer « se prenant » trop pour une famille amène des attitudes régressives et agressives : « sont détruits symboliquement ces éducateurs qui échouent, dans leur tentatives de réalité, à être ce qu’on aimerait pouvoir mettre en eux." (p 83) Proposition 2 : si le dispositif se maintient comme invariant, il peut recevoir en dépôt la relation symbiotique mère enfant. Proposition 3 : aucune preuve directe ne peut être apportée de l'affirmation précédente, mais indirectement il est possible de constater si apparaissent les effets décrits par Bleger à propos du cadre psychanalytique : vécu d'arrachement, angoisse catastrophique évoquant la mort. Si le dispositif n'est plus capable de contenir la relation symbiotique à la mère, réapparait la rage du nourrisson impuissant que la mère abandonne. Dans le chapitre 6, Paul Fustier s'appuie sur les travaux de Mauss sur le don, ainsi que les travaux de P. Kammerer (1990) et de Jacques Hochman à la suite de Mauss. Pour ce dernier, « le don fonde l'échange à condition que soit respectée une triple obligation : faire un cadeau à l'autre, accepter de recevoir un cadeau de l'autre, rendre le cadeau qui vous a été fait. » (p 98). Le don est donc essentiel car il fonde l'échange, mais il est dangereux car il introduit l'obligation de recevoir et de rendre. Dans ses travaux sur le potlatch Mauss montre que lorsque le membre d'un clan offre des richesses à son rival, celui-ci peut soit rendre, si possible quelque chose de supérieur, soit ne pas pouvoir rendre et s'avouer vaincu (se mettant en position de vassal) ou encore refuser l'échange et déclarer la guerre à son rival. Le don est donc dangereux pour celui qui reçoit : d'une part le don l'oblige, et d'autre part, même abandonné par son propriétaire, le don est encore quelque chose de lui ; mais il est aussi dangereux pour le donateur, l'engageant dans une escalade (don, contre-don etc) qui peut l'entraîner plus loin qu'il ne souhaitait. P. Kammerer fait l'hypothèse que les dons sont susceptibles d'aider les personnes souffrant de « troubles de la régulation narcissique ». « Kammerer qualifie le délinquant à partir d'un moi dévalorisé et d'un idéal du moi grandiose. » (p l00). Le don a valeur symbolique, « le don que l'on reçoit signifie que l'on est suffisamment digne d'amour pour que l'autre prenne plaisir à vous offrir, le don que l'on fait signifie que l'on a assez de valeur pour être capable d'offrir et de créer du plaisir chez autrui ». (p 100) J. Hochmann constate que le don est présent dans l'imaginaire des clients ; bien que rémunéré par un salaire l'acte du soignant conserve quelque chose de la dimension du don. Mais cette « lueur de gratuité » fait que les soignants ont à assumer la situation difficile de recevoir paiement d'une dette (par exemple sous forme de reconnaissance) pour un « service rendu » qu'ils ne considèrent pas comme un don mais comme un acte professionnel obligé. Sont mêlés le plaisir de faire plaisir et la culpabilité de recevoir pour ce qu'on a pas donné. » (p 102). Ce don n'est cependant pas un artifice car il permet que s'instaure un échange. Dans le cas d'enfants psychotiques, Hochmann montre que la valeur accordée à l'enfant par le soignant permet aux parents d'entrer dans un échange avec l'équipe soignante à partir d'une dette symbolique. Si, pour ses parents, l'enfant psychotique est « la pierre tombale de l'enfant imaginaire », « le don gracieux des soignants participe à une mutation possible de cette position mortifère. » (p l01)
La question centrale est donc de « repérer que dans le quotidien institutionnel, il existe des dons ambigus, dont l'importance repose sur cette ambiguïté : on ne sait exactement quel sens, ni quelle valeur ils ont. (…) ils sont susceptibles en raison de leur ambiguïté, de favoriser un travail chez ceux à qui ils sont offerts. » (p 107). Pour que la personne carencée puisse élaborer la distinction entre Moi et Non-Moi, il faut que l'éducateur accepte d'être mis dans cette position d'omnipotence (sans chercher à s'y conformer dans la réalité), qu'il accepte d'être mis à la place du persécuteur (sans le devenir réellement, malgré les incitations), devenant ainsi énigmatique : « Qui donc est-il, cet éducateur ou ce soignant dont la position interdit qu'on le réduise à n'être qu’un persécuteur ou qu'un désir réalisé ?» (p 119) Un travail sur l'énigme, toujours posée, jamais résolue, peut être effectué, qui est probablement l'élément majeur du traitement institutionnel. Cependant quelque chose demeure de l'illusion, la part résiduelle qui persiste lors d'un travail de deuil non complètement achevé. Dans le chapitre 8 Fustier examine comment l'illusion à laquelle on a apparemment renoncé pour soi peut-être déposée chez un « porte croyance », fréquemment le psychologue ou le psychiatre de l'institution (particulièrement s'il s'agit d'un psychanalyste). Pour cela, l'auteur reprend une formule de Freud analysée par Octave Mannoni : « je sais bien mais quand même », « Je sais bien (disent les soignants ou les éducateurs) qu'il n'y a pas de recettes ou de solutions et que vous ne saurez répondre à une question impossible, mais quand même (si vous pouviez faire advenir cette illusion de toute puissance, à laquelle la réalité nous force à renoncer). (p 150) Le « je sais bien » est la partie raisonnable de la formule et marque une tentative de résister à l'illusion de toute puissance, alors que le « mais quand même marque le retour du désir sous la forme d’une croyance dont le « psy » est porteur. « « Porte croyance » veut dire que le psychologue sera, selon les circonstances, identifié au magicien bienveillant qui sauve ou au sorcier doué de pouvoirs maléfiques, dépositaire d'un savoir qui tue. » .. « Pour que le « psychiste institutionnel » puisse réaliser sa tâche (à partir du « je sais bien ») il importe qu'il mette au travail les représentations (que sous-entend le mais quand même). A l'inverse son travail sera rendu impossible s'il expulse violemment, subit passivement ou jouit abusivement de l'irrationnel déposé en lui. » (p 151). Le dernier chapitre reprend un travail antérieur de Fustier (dans « L'enfance inadaptée, repères pour des Pratiques », Lyon, PUL, 1983) sur l'historique de la création du diagnostic d'enfant pervers. Pour Fustier ce diagnostic témoigne d'une stratégie défensive face à une possible séduction réciproque : « un adulte séduit-séducteur et un enfant séducteur-séduit. Cette forme est très proche du fantasme originaire dans sa version première (un adulte séduit un enfant). Mais comme elle est insupportable, elle sera déniée et projetée. » (p 178). Deux mouvements peuvent témoigner de cette position défensive, soit la « tératologisation » de l'enfant, monstre de perversité menaçant l'innocence de l'adulte, soit une mise à distance technicienne, de l'enfant, évitant tout affect.
Les Corridors du quotidien. La relation d'accompagnement dans les établissements spécialisés pour enfants., par Paul Fustier [1ère de couverture] Philippe Fabry » Livres » Paul Fustier : Les Corridors du quotidien. La relation d'accompagnement dans les établissements spécialisés pour enfants. |