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Fragments d'intime. Amours, corps et solitudes aux marges urbaines, par Pascale Jamoulle

Pascale Jamoulle, assistante sociale puis anthropologue, a exploré pendant de longues années une cité "sensible"; cité constituée quasi exclusivement de logement sociaux et devenue progressivement lieu d'enfermement. L'approche ethnologique de ce territoire a donné 3 livres importants, présentés sur ce site (pour voir ces présentations cliquer ici). Ce livre ci montre la poursuite de la même démarche sur un autre territoire, lui aussi lieu d'accueil et de production de la marginalité : un quartier ancien et dégradé du centre d'une capitale, en l'occurence Bruxelles (quartier de la gare du nord).

Si le territoire est différent plusieurs caractèristiques sont communes, notamment le "triangle des handicaps" décrit par Claude Chaline (voir le Que sais-je "les politiques de la ville") : insécuité économique ; déficit d'intégration (Chaville évoque la notion de "déprivation" de P Townsend) ; carences en matière d'habitat.
Le livre de Pascale Jamoulle montre un autre point commun essentiel, déjà pointé par Jean-François Laé dans la préface de "la débrouille des familles" : la solitude liée au manque d'interlocuteurs avec qui évoquer les conflits familiaux destructeurs et les ruptures.
Comme dans ses précedents livres, Pascale Jamoulle montre un art peu ordinaire de la rencontre, basée sur une profonde empathie (c'est à dire une capacité à se représenter finement ce que vit et ressent autrui). Les nombreux portraits traduisent cet art de la rencontre, ni jugeante ni complaisante, profondémment constructive car porteuse d'historicité (des personnes, des familles, des cultures, des lieux...)

Présentation de l'éditeur : "Dans les espaces urbains marqués par la précarisation, les sphères de l’intime se fragilisent. Cet ouvrage explore la vie émotionnelle, affective et sociale de personnes de toutes origines, souvent marquées par l’épreuve de l’exil, dans un quartier « chaud » de Bruxelles, où les relations hommes/femmes, les quêtes affectives et sexuelles sont d’une grande complexité. L’auteure y a longuement fréquenté des prostituées, des errants avec ou sans papiers, des jeunes issus des anciennes et nouvelles migrations, turques en particulier. Elle restitue ici, avec finesse et délicatesse, leurs histoires et contextes de vie, qui contribuent à façonner leurs rapports au corps, à l’autre sexe et à la solitude.

Éprouvés mais altiers, marginalisés mais créatifs, brisés mais tenaces, les interlocuteurs de l’ethnologue font face à l’insécurité sociale et intime. Celle-ci peut devenir une quête initiatique, où s’invente une autre vie urbaine, souterraine et alternative. Il en va ainsi de la prostitution libre et courtisane, vécue comme un métier de service ; des squats semi-organisés qui protègent de la rue les couples et les grands célibataires ; des couples mixtes et des inventions transculturelles qui décloisonnent les ghettos urbains. À travers la vie intérieure et secrète de ses interlocuteurs, Pascale Jamoulle nous invite à découvrir les mondes off des grandes métropoles, à voir comment s’invente la mondialisation par le bas de l’échelle sociale."

En complément une présentation par Pascale Jamoulle elle même à l'invitation de la chaire de travail social du CNAM, le 15 juin 2011 (dans le cadre du Séminaire national « Actions en Psychiatrie-Précarité ») .

« En quoi une anthropologue peut contribuer au prendre soin ? A quelle place ? AS, anthropologue mais aussi prof de français ; j'aime mettre les gens en écriture. Des usagers ont des livres en tête ; les travailleurs sociaux m'appellent quand ils ont un livre en tête. Dans ce livre « fragments d'intime », j'ai travaillé dans un quartier derrière la gare du nord à Bruxelles. Envie de travailler sur l'amour. J'ai travaillé sur les conduites à risques puis avec les familles, puis sur les hommes : « des hommes sur le fil », comment ils se retrouvent dé-parentalisés Une errance affective qui leur rend difficile de s'ancrer. Quand on parle d'amour tout le monde est prêt à en parler ; parler des drogues.... Avec les prostitués, travail sur la marchandisation du corps ; comment c'est venu, les effets sur la perte d'intimité. Émergence du masochiste ; réflexion / à cette demande. Pourquoi ? Qu'est-ce qui se passe ? Rôle d'écrivain public. Savoir des prostitués. Un quartier turc ; 90% des personnes du même village. Dans la même maison les grands parents, parents et enfants. On a Beaucoup parlé des conflits de normes de genre entre générations. Générateur de perte d'intimité. Une autre population a répondu présent : le public des SDF. J'ai Beaucoup travaillé avec eux sur l'errance affective : qu'est-ce qu'une vie privée quand on erre qu'on ne peut plus habiter longtemps les lieux et les relations.
Reprendre contact avec son intimité peut mettre à mal..
J'ai suivi l'équipe Dune, une équipe que j'aime bien ; ils font des soins. Tara, jeune travellers. Elle a cherché quelque chose à échanger pour se protéger. Se rendre effrayante. Elle a trouvé un squat et là beaucoup investi la protection des risques, l'échange de seringues..
Évolution de X ordres. Il y a 10 ans beaucoup de gens issus d'institutions. Là beaucoup, beaucoup de femmes. 30%. Elle se défendent. Beaucoup plus de jeunes travellers. En Belgique des aides sont possibles dés 18 ans. De plus en plus de sans papiers, qui ont été construits, qui ont été intégrés et qui de palier en palier ont été dépossédés de pouvoir vivre en société..
La population change. Comment font ces femmes ? Tara je l'ai rencontrée. Elle était dans une construction de place en rue, fortement masculinisée, se battant tous les soirs pour se défendre. Domination soumission consommation. Les stratégies des femmes compensent la force physiques. Elles changent qq chose dans les relations de la rue..
Que disent -ils de l'amour ? Des vécus extrêmes fragilisent l'intimité. Dans le squat jamais de mise en jeu des sentiments, ce serait rejouer des sentiments qui l'avaient détruite. Dans sa cité on l'appelait le camionneur. Les petits oiseaux tombent souvent amoureux des chats dominateurs. Elle a subi des années jusqu'à ce que ça explose et elle a failli tuer. J'ai vidé tout d'un coup les années de colère accumulées. Pour sortir de la domination amoureuse, elle a démuselé sa rage ; ça fera exploser tous les liens, tous les lieux.
Un 1° enfant avec un sans papier qui triche sur son âge et son identité. Un « enfant papier », fait pour les papiers ; puis elle rencontre l'homme de sa vie ; mais elle a tellement peur qu'elle est agressive avec lui ; elle ne veut pas qu'elle le touche, je le traite comme un chien. Il s'éloigne quand elle accouche.
Cf Jean Furtos : un monde à l'envers, agresser quand on aime. Elle a été souvent prise. Quand les hommes les quittent elles s'effondrent ; reste la drogue ; elle confie ses enfants à la famille essaie une cure ; échec, elle perd son logement, c'est la rue, elle s'y adapte. Cette histoire, une parmi d'autres. Difficulté énorme de lier des liens d'attachements. Une souffrance qui devient un patron de vie : mépris de soi, relations insécurisantes ; la fuite est une manière de maitriser les tensions. Moins de risque de s'attacher. Des rapports très ambivalents.
L'intime devient une figure d'angoisse ; l'alcool permet un apaisement affectif ; la rue comme effaceur de mémoire, occupés à survivre ; un combat corporel.
Mettre de côté l'affectif, apprendre à vivre à distance de son propre corps. Les enfants sont importants mais peur de se confronter
Beaucoup de rêves, beaucoup de colère.

« Passer à la moulinette de la rue »
Réfléchir avec eux à cela. Ces sans papiers dépossédés de leur vie; errance socio administrative. Fonctionnement de rupture. Ils sont mis à nus devant la férocités des rapports en rue. Un processus de déshumanisation. Pas de recours. Des liens de plus en plus fragilisés. Si les gens découvrent que vous avez des sentiments ils peuvent l'exploiter. Combien de couples fonctionnent sur cette exploitation. La peur des mariages en blancs, d'être instrumentalisés. L'alcool, la drogue reformatent ces personnes qui se coupent de leurs affects ; elles ne s'attachent plus.
On parle de 100 000 personnes SDF à Bruxelles sur 1,1 million d'habitant !
Il y a des troubles psychiques, mais la rue fragmente, le délire est parfois le dernier rapport. Pas mal de personnes issues de l'immigration se sentent menacés par des djins ; des signifiants flottants pour raconter les troubles incurable en terre d'exil D'autres gens de la rue se disent dissociés, personnalité principale, morcellement identitaire d'autres enfin parlent de films; les grands mythomanes de la rue, ayant toujours perdu leur carte d'identité.
La possession, la dissociation, la mythomanie, 3 façons de dire L'ordre institutionnel est aussi violent.
Les professionnels de la réduction des risques sont une ressource ; ex Tara : quand elle veut sortir de la rue c'est les travailleurs de Dune qui l'ont aidé. Intermédiation institutionnelle. Le SAMU pour arrêter quelque chose ; la crise est une demande de retrouver leur humanité, des êtres qui n'ont plus d'échanges.
Les dispositifs d'hébergements. Tara n'y allait plus : trop aléatoire ; il faudrait 2 X plus de places. Dangerosité pour les femmes.
Les hôpitaux.
Tara a rencontré un jour un psychiatre avec moi il a servi le rôle de passerelle. Puis il est parti et elle s'est retrouvé confrontée à la violence des codes sociaux de l'hôpital. Habitude des combats de la rue. Les psychiatres sanctionnent. Problème du temps : à partir de 15 jours on lui a dit qu'elle avait fait son temps. Elle était supposée être sevrée. Elle n'y a plus cru du tout et cherché ses propres solutions. Elle a été voir un médecin généraliste pour un traitement de substitution et retrouvé un groupe qui squattait de façon assez stable. Plus souple, pas mal de professionnels qui cherchent un habitat solidaire. Un moi collectif qui se créé. Eau, électricité, ateliers créatifs, un fonctionnement démocratique. Tara habituée des crises a été précieuse. Ex gestion de l'argent. Ceux qui ont l'aide sociale paient 100 euros et ceux qui l'ont pas paient 65 euros. Une Tara transformée, une autre identité, une intimité possible. Elle a pu reprendre ses deux enfants. Elle a pu faire reconnaître ses compétences.
Quand il y a un étayage les personnes de la rue font preuve de beaucoup de créativité.
La vie en rue met en risque l'intimité. Ne jamais mettre en jeu leurs sentiments. Des risques à s'attacher; risque d'exploitation mutuelle. Pas trop s'impliquer. Mais aussi l'enquête montre la force de résistance, l'effort de se construire. Les lieux alternatifs sont secoués sans cesse par des crises mais ils faut les soutenir. Sans sécurité, la capacité à être en lien est parfois sur X générations attaquée."

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Fragments d'intime. Amours, corps et solitudes aux marges urbaines, par Pascale Jamoulle [1ère de couverture]

Fragments d'intime. Amours, corps et solitudes aux marges urbaines, par Pascale Jamoulle [1ère de couverture]


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