philippefabry.eu, pour la formation en travail social Quand la ville se défait, par Jacques Donzelot"Quelle politique face à la crise des banlieues ?" Racaille ! " : un mot du ministre de l'Intérieur, que pourtant les jeunes des banlieues s'appliquent par dérision à eux-mêmes, a suffi pour provoquer trois semaines d'émeutes en novembre 2005. Jacques Donzelot tente de comprendre comment on en est arrivé là. Il rappelle comment les banlieues ont été conçues, dans les années 50, lorsqu'on a voulu moderniser la société par l'urbain en construisant des grands ensembles offrant à tous, de l'ouvrier à l'ingénieur, les mêmes conditions d'hygiène et de confort. Comment ce rêve s'est effondré dans les années 70, quand ces " cités " sont devenues synonymes d'une relégation des plus pauvres, le lieu qui symbolise la " mondialisation par le bas ". Comment la politique de la ville a ensuite échoué dans sa prétention à transformer cette situation. Parce qu'elle s'est plus préoccupée de transformer les lieux que d'accroître la " capacité de pouvoir " des gens dans leur vie. Parce qu'elle s'emploie vainement à imposer une mixité sur place plutôt qu'à faciliter la mobilité sociale de tous dans la ville. Parce qu'elle prend appui sur le pouvoir des élus locaux plutôt que de travailler à créer une démocratie à échelle de l'agglomération."
Introduction : De la galère à la racaille Ce sentiment d'extrême humiliation était-il déjà présent lorsque commencèrent les émeutes dans les cités, en particulier la première, celle qui avait éclaté dans la banlieue de Lyon, au quartier des Minguettes, durant l'été 1981 ? Considérées avec le recul que nous procurent celles des nuits de novembre de l'année 2005, ces premières émeutes apparaissent plutôt comme celles de l'espoir. Non qu'elles aient délivré, à cet égard, un message très limpide et une attente lumineuse. Mais elles avaient révélé le problème des banlieues, enclenché une prise de conscience dont témoignèrent la médiatisation de la fameuse marche des Beurs, en décembre 2003, ainsi que l'accueil des protagonistes de celle-ci à l'Élysée par François Mitterrand. Cette émeute, cette espérance, avaient justifié la création d'une politique qui se voulait généreuse en valorisant l'aspiration de cette jeunesse à prendre toute sa place dans une France dite black-blanc-beur, et cela par le développement social des quartiers où elle se trouvait confinée. Tout en visant expressément cette jeunesse maghrébine des cités, cette politique fut dite " de la ville ", car parler alors d'intégration, c'eût été reconnaître que la République pouvait avoir un problème de fond, et non un simple malentendu, avec une partie de sa population en raison de son origine ethnique, de sa couleur de peau ou de sa religion. Une telle formulation aurait alors choqué tous les esprits, de gauche comme de droite. Parler des Maghrébins en les nommant comme tels ne pouvait, en ce temps là, se faire qu'en se situant à l'extrême droite. Tant cette désignation " forcément " péjorative convenait aux discours de ses ténors contre toute idée d'une politique positive en direction de cette population. Tant ceux-ci se sentaient à l'aise pour n'y voir que pure perte de temps et d'argent, pure spoliation des Français de bonne souche, flattant ainsi un électorat dont on vit en retour le pourcentage national grossir rapidement. Afin de mieux contrer les diatribes de l'extrême droite, mais aussi bien de continuer à camper en terrain connu et bien balisé, il fut entendu que cette appellation de " politique de la ville " recouvrait, de fait, une manière de lire le problème posé par cette jeunesse maghrébine comme s'il relevait d'une question tout à fait classique, répertoriée depuis les temps anciens de la fondation de la République, à savoir la question dite " sociale ", question dont elle constituerait une manifestation tardive, aiguë et localisée mais rien d'autre et rien de plus. D'autant que cette lecture avait pour elle un certain nombre de justifications.
Quand la ville se défait, par Jacques Donzelot [1ère de couverture] |