La présentation qui suit vient d'une prise en notes de l'interview de Pierre Lascoume par Antoine Garapon dans l'excellente émission "bien commun" sur France culture.
"On parle beaucoup de la délinquance des jeunes mais il n'y a quasi aucun travaux sur la corruption dans les élites
Définir la corruption : en droit, il faut la matérialisation d'un accord entre un solliciteur et un décideur ; on a toujours considéré qu'il fallait une relation directe entre une décision favorable, par ex l'octroi d'un marché public et le versement d'une somme pour une campagne éléctorale.
C'est la définition la plus stricte mais aussi c'est la situation qui se retrouve le moins souvent. A l'autre bout le mot corruption est un mot valise qui englobe tout ce que les citoyens peuvent percevoir comme abus de fonction.
1810, à l'occasion du scandale des médailles on créée un délit qui n'existait pas, le délit de traffic d'influence.
(à l'Elysée un bureau était consacré à faire rentrer de l'argent pour le financement politique, avec un réseau qui vendait l'obtention de médailles).
Qu'y a t-il de particlulier dans la corruption à la française ? Algan et Camus, dans "la société de défiance" montrent que les français ont un très haut niveau de défiance par rapport au pouvoir ; mais ils apparaissent aussi les plus tolérants par rapport à la fraude fiscale et par rapport aux fausses déclarations.
Tolérants aussi à de nombreuses formes d'interventions pour obtenir un emploi, un logement etc..
Donc d'un côté une grande distance par rapport à ceux qui sont sensés définir le bien commun, et de l'autre un côté utilitariste.
Si mon dossier peut se retrouver au dessus, même s'il y a rupture d'égalité, c'est pas un problème si j'en tire des avantages.
Hypothèse : à partir du moment où les français sont utilitaristes à leur niveau, ils sont aussi tolérants, voir laxistes concernant les transgressions des dirigeants.
Cela créé un paradoxe entre un très haut niveau affiché de vertu, avec des annonces très fermes de sanction en cas de transgression et une pratique généralisée d'absence de sanctions dans la réalité.
Jusque dans les années 80 à la question "les hommes politiques sont-ils plutôt honnètes, plutôt malhonnètes?", la réponse est "plutôt honnète" pour 3 français sur 4 ; Dans les années 90 avec les grandes affaires de financement politiques la réponse "plutôt corrompu" est passée à 50% puis 60% et cela continue d'augmenter.
L'idée que la politique est un monde à part, une sorte de tribu avec ses règles spécifiques, empêche de percevoir le lien entre le fonctionnement des politiques et celui des citoyens.
Idée que le monde politique est dangereux, corrupteur, activité à rique dont il faut se protéger ; il y a de moins de moins de candidats pour être élu municipal, par exemple.
Le maire est devenu un entrepreneur. Les dynamiques économiques et sociales sont centrales.
La recherche de P Lascoume présente trois villes anonymées. Dans une des villes un candidat condamné par la justice est revenu aux affaires ; les citoyens, eux, voient le bilan général mais aussi la proximité et donc la possiblité de démarches utilitaristes !
Ce qu'on attend du maire, c'est qu'il fasse quelque chose pour nous.
Je n'aime pas la personne, je n'aime pas leur façon de faire, mais je reconnais qu'ici il y a de meilleurs services.
Nous serions donc rentrés dans une république de services, dans tous les sens du terme. La demande des citoyens à leurs maires ou députés, c'est : rendez moi service.
"La tyrannie de la proximité"
Avant la solidarité c'était d'abord au niveau national, avec des valeurs de répartition ; aujoiurd'hui, l'intérêt public, c'est mon intérêt, celui de mon groupe ou de mon micro territoire.
Les enquètes américaines montrent que l'exigence augmente au fur et à mesure de niveau de pouvoir politique.
Que fait-on de cette sévérité ?
Dans les votes ce qui est déterminant ça n'est pas le jugement moral.
C'est moins la corruption qui gène que de savoir s'il est productrice ou non.
Pour P Lascoume, ce qui est difficile à accepter dans ce fonctionnement c'est le déni, le déni des intérêts contradictoires.
Avancer dans un sens démocratique ce serait avancer dans l'éclairage de ces contradictions. Les politiques devraient s'interesser au fait qu'ils ont une si mauvaise image. Ils ne cessent de prendre des décisions qui apparaissent aux citoyens comme des
décisions claniques. Exemple : un débat à l'assemblée sur la transparence politique et particulièrement la transparence sur sur les revenus qui pourraient faire apparaitre des conflits d'intérêts. Quelques personnes dans une commisison des lois cherchent à réduire le texte. Cela renforce l'idée que l'auto protection reste la règle de base.
Métaphore sportive : le jeu est dur, il faut une règle du jeu, avec des arbitres dotés de pouvoirs, des cartons jaunes et des cartons rouges.
Les jeunes sont moins laxistes mais aussi très réalistes. Chaque groupe s'auto protège. La "gratte" est bien tolérée.
Comment expliquer l'absence de recherches sur la corruption. Si c'est le probléme social majeur, pourquoi n'est-elle pas le thème central de recherche en sciences politiques ?
P Lascoume explique que ces recherches ont un gros coûts d'entrée, les projets ne sont pas simples à monter. Les doctorants manquent.
Enfin comment enquèter sérieusement sur des traffics occultes ?
En travaillant sur des affaires ordinaires P Lascoume et son équipe ont pu travailler sur les représentations des citoyens. En dehors des situations spéctaculaires de corruptions, toutes les situations intermédaires de favoritisme se retrouvent à tous les niveaux de la société.
Le propre des français est d'articuler des principes très civiques et des pratiques laxistes.
Propositions : le rapport Bouchery de 1997 reste une référence. Chaque fois qu'on créée une structure de controle, elle n'a pas de pouvoirs et pas de moyens. Les politiques redoutent beaucoup des institutions qui auraient des pouvoirs d'enquètes, qui puissent enquèter et rendre tangibles des pratiques qui posent problème.
Tout ce qui contribue à rendre visible les contradictions, les tensions concernant l'intérêt public est utile à la démocratie.
Voir aussi une présentation du livre sur le blog "champ pénal"
Favoritisme et corruption à la française ; petits arrangements avec la probité., par Pierre Lascoume [1ère de couverture]